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Paroles de client·e·s #1

 » Il y a quelques années, je suis tombé en dépression. Parmi les multiples conséquences que cela avait : je ne m’aimais plus, je me trouvais misérable, je ne me sentais plus capable de séduire, et encore moins capable de croire qu’on veuille me séduire. Pourtant, comme bon nombre de gens, j’avais des envies que la dépression ne pouvait étouffer : Parfois, j’avais juste envie de faire l’amour, de manière presque routinière, bien plus tenté par le contact physique avec un corps nu que par l’acte en lui-même.Parfois, j’avais envie de me découvrir sexuellement. Dépressif à 24 ans, encore vierge moins de deux ans auparavant, et n’ayant fait l’amour qu’avec une personne, j’avais envie de concrétiser quelques désirs simples. Mais la dépression m’arrêtait: pas fichu de sortir, de parler, de faire quoi que ce soit. Les applications, n’en parlons pas, ça me terrifiait. Mais m’y étant essayé malgré tout, dès que je «matchais», c’était le silence total de ma part; ou alors, après quelques mots échangés, tout me semblait tantôt vain, tantôt impossible, et je cessai d’entretenir la conversation.

Alors une idée a germé tranquillement : puisque l’étape de la séduction me paraissait infranchissable, pourquoi ne pas s’en passer et aller voir directement des personnes dont le sexe était le métier.J’ai toujours été assez au clair avec les métiers du sexe en général. Ce n’est pas pour moi quelque chose de tabou, et je crois être généralement bien informé à leur propos. Je sais faire la distinction entre un porno qui n’est pas éthique, d’un porno fait dans le respect de chacun. Je suis également consommateur réguliers de site où des webcameurs et des webcameuses font des prestations. Parmi les clients qu’on y trouve, et en dehors de quelques bruyants personnages irrespectueux vite réduit au silence par les modérateurs, je ne connais généralement que le respect et l’ambiance bon-enfant qui peut régner sur ces plateformes et où les travailleurs et travailleuses du sexe (TDS) racontent souvent avec plaisir l’envers du décor, c’est-à-dire tout l’aspect professionnel d’un métier que bien souvent ils·elles apprécient. De même, le téléphone rose m’ayant intrigué un temps, je m’étais prêté à l’expérience qui m’était alors apparue un peu désuète, et que je n’ai donc pas réitéré.Et pour moi il était clair que dans tous ces métiers la notion d’argent va de soit, pour un service rendu, pour un show exécuté, il est normal de payer celle ou celui qui travaille.

Pour ce qui est de la prostitution en particulier, je n’en n’avais jamais fait l’expérience, bien que je sois malgré tout au courant des grandes lignes qui dessinait le milieux. Plusieurs podcasts, documentaires et témoignages (majoritairement du point de vu de celles et ceux concerné·e·s) m’avaient déjà donné un aperçu de tout ce qu’impliquaient de négatif la pénalisation des clients ou le mouvements abolitionniste. Je savais déjà que la prostitution n’était pas ce que la société nous décrivait et nous décrit encore comme un grand mal qu’il faut combattre, mais qu’il s’agissait de quelque chose de plus subtil qui ne pouvait se résumer en l’exploitation des femmes par les hommes ou a du viol tarifé.Alors l’idée d’aller voir une TDS n’était pas pour moi un dilemme éthique. Ce n’était pas non plus une idée nouvelle à laquelle je n’avais jamais pensé. Il s’agissait juste de savoir si j’en avais envie, a quel moment, et si là encore la dépression trouverait ou non quelques manières de m’en empêcher.Je me disais qu’il était possible de contacter une escort via le net, alors j’ai feuilleté quelques sites, mais effectivement, la dépression m’ayant assujetti à une peur panique de contacter les gens, je n’ai pas franchi le pas.J’ai donc laissé cette idée quelque part, rangée avec les autres, sans trop m’en préoccuper.

Un jour, sans que je ne prémédite quoi que ce soit, toutes les circonstances étaient réunies. J’avais, pour je ne sais plus quelle raison, quelques gros billets sur moi; il était tard; je rentrais chez moi rongé par l’envie d’un corps à embrasser; et je marchais dans une direction où j’avais déjà vu, le soir, plusieurs TDS. Il me suffisais d’un petit détour sur mon itinéraire pour être à peu près sûr d’en croiser une. Alors j’ai ralentis le pas. Non pas pour prendre le temps de prendre ma décision; celle-ci était déjà prise: j’en avais envie, si ce n’est besoin.Non, j’ai ralentis le pas pour prendre le temps de faire les choses correctement. J’ai mâché un chewing-gum pour essayer d’avoir une haleine un tant soit peu correcte. Et puis j’ai réfléchis à mille petites questions qui soudain me paraissaient d’une importance capitale:Si elle ne me plaît pas physiquement ou si je doute au dernier moment, comment détourner mon chemin poliment, sans donné l’impression de l’avoir dévisagé ou regardé comme un bout de viande ? A l’inverse, si elle me plaît, comment lui faire comprendre que je suis intéressé? Quels premiers mots lui dire, sans paraître impoli ni lui renvoyer l’image d’un mec en chien, ou d’un gros lourd? Comment lui dire ce dont j’ai envie? Et d’ailleurs de quoi ai-je envie, là, sur le moment, à part d’un instant de partage ? Sera-ce du partage d’ailleurs ou bien l’aspect transactionnel de l’acte va t-il créer un rapport physique à sens unique? Et elle, de quoi a t-elle envie? Comment dois-je considérer ses désirs et son plaisir tout en sachant que pour elle il s’agit d’un travail? Parviendrai-je seulement à voir des signes qui nous permettent de passer un moment à deux, et pas simplement deux moments solitaires l’un contre l’autre? Le temps du trajet, je n’ai résolu aucune de ses interrogations. Je me disais simplement que m’être intéressé aux questions du travail du sexe ne faisais pas forcément de moi un bon client, et c’était pourtant essentiel: essayer au maximum d’être un bon client. Au bout d’un moment, j’ai vu au loin une silhouette tournant en rond sur un bout de trottoir et tentant de se réchauffer malgré le froid, dans l’attente d’un client.Je me souviens que mon cœur battait à toute allure pendant ce long moment où j’avançais vers elle. Mon cœur battait à tout allure et c’est un bon souvenir. Je n’aurais pas eu le trac si ce moment était anodin, si c’était juste pour tremper le biscuit un coup, ou si le rapport humain avec l’autre n’avait pas eu d’importance à mes yeux.Je n’ai jamais été très doué pour deviner les âges, mais j’imagine qu’elle avait quelque chose comme la quarantaine, peut-être plus. D’ordinaire, son physique ne m’aurait pas fait fantasmer, et pourtant, en la regardant, j’avais envie d’elle. Peut-être était-ce aussi le contexte qui me faisait envie. Mais en vérité, je crois que c’est plus simple encore: à ce moment là, je ne recherchais pas un corps précis mais simplement quelqu’un avec un cœur qui batte. Il y a quelque chose d’incroyablement excitant et puissant à l’idée de se laisser aller vers quelqu’un d’inconnu, pour partager un tel moment, et de lui faire confiance, de se laisser surprendre, peu importe la personne.La question de savoir si elle me plairait physiquement ou non devint alors bien futile.L’aborder fut plus facile que prévu. Il suffisait de marcher dans sa direction, sans chercher à l’éviter. Il suffisait de croiser son regard, sans détourner les yeux.

Je me suis arrêté auprès d’elle, je l’ai salué, et tout s’est passé naturellement. J’imagine que dans ma timidité, je ne devais donner ni l’allure du mec en chien, ni l’allure du gros lourd, ni l’aspect de qui que ce soit d’irrespectueux. Je ne me souviens plus si je lui ai dit que c’était ma première fois avec une travailleuse du sexe, ce qui pouvait expliquer cette timidité que je renvoyai, mais qu’importe, car j’ai l’impression qu’elle savait toutes les questions à poser pour que je puisse lui dire facilement ce que je voulais; après-tout, c’est son métier.Elle me demanda mon nom, alors je lui demandai le sien. C’est un nom que je garde pour moi, «et probablement faux» ai-je pensé, mais qu’importe, c’était juste pour pouvoir mieux communiquer. Et puis c’était un joli nom.Alors après quelques phrases chaleureuses parsemées de «mon chéri» et autres surnoms rassurants,dans un accent que je n’arrivais pas à définir, elle m’emmena derrière des bâtiments, dans un recoin bien choisi, à l’abri des regards.Je l’ai payé d’abord, avant même qu’elle ne demande quoi que ce soit, et on a fait l’amour. C’était simple, rien d’orgasmique, et pas non plus un marathon, et c’était tout ce que je voulais, c’était un moment de partage. De la même manière qu’elle allait dans le sens de mes désirs, j’allais dans le sens des siens, ceux qu’elle me laissaient deviner ou bien qu’elle m’exprimaient clairement, qu’ils soient vrais ou simulés.Et au final qu’importe qu’ils soient vrais ou simulés, car on restait toujours dans le cadre de ce que nous avions convenus, les questions de consentement étaient alors clairs pour tous les deux, et il me suffisait de suivre les règles d’un jeu dont bien évidemment elle était la capitaine.Et ressentir ce moment comme un jeu à deux, un jeu qui était son métier, permettait d’ailleurs de ne pas trop se poser de questions quant à savoir si elle simulait ou pas, et donc si j’étais égoïste avec mes désirs ou non. Moi-même, par moment, j’ai simulé, sans honte. En réalité, il n’était pas question de savoir si ce moment rentrait dans les codes d’une sexualité épanouie. C’était juste une expérience. Bien plus simple et naturelle que je ne l’aurais prédis.

Puis quand nous avons terminé, on a parlé un peu.Je crois que c’est le moment que je retiens le plus. Faire l’amour avec une inconnue, puis discuter ensuite. Je trouvais ça incroyablement poétique, et je me suis dis que d’une certaine manière la poésie fait partie du métier. Si elle ne m’avait pas invité à discuter, je serais certainement parti poliment sans trop tarder, de peur d’avoir l’air insistant. Mais elle m’a dit, avec son bel accent: «Dis donc, tu n’as pas fait l’amour depuis longtemps, toi!» J’ai confirmé, et elle semblait étonné qu’un jeune et beau garçon de mon âge ne trouve pas plus d’occasions que ça de faire l’amour. Forcément, j’étais flatté par les mots «beau garçon». Et qu’elle le pense ou non, car cela faisait encore un peu parti du jeu, ça m’a fait du bien de l’entendre et j’ai décidé de la croire.Alors je lui ai raconté en quelques mots que je vivais une période difficile. Elle a été compréhensive, et ça m’a réchauffé le cœur. En lui parlant, je la trouvais étonnamment belle.On a parlé un peu de son métier, de cette soirée froide et donc difficile pour elle, puis on a repris le chemin vers le trottoir où elle attendait les clients, je l’ai remercié, puis j’ai repris ma route.Pour des raisons sociétales sûrement, ou bien en raison de ma dépression, je m’étais attendu à me sentir un peu minable après cette expérience, un peu honteux, ou pas forcément très satisfait. Peut-être même j’avais peur, malgré mon avis bien tranché sur la question du travail du sexe, de ressentir le sentiment d’avoir abusé de quelqu’un.En fait, rien de tout ça.J’étais apaisé.Je savais que ce moment s’était bien passé pour nous deux, que j’avais été aussi respectueux avec elle qu’elle l’avait été avec moi. Et je rentrais chez moi le cœur léger. J’avais passé un bon moment, avec une femme belle et généreuse. Et c’est un moment que je conserve encore quelque part dans mes souvenirs comme quelque chose de précieux. C’est également, et entre autre, un moment que j’ai pu m’offrir malgré la dépression, un moment qui m’a permis de passer à d’autre choses et d’avoir,par la suite, d’autres types d’expériences.

Depuis, je suis retourné quelquefois auprès de TDS. J’y suis retourné pendant, mais aussi après ma dépression. Car je ne considérais pas le travail du sexe comme un remède, plutôt comme une alternative dont on a parfois envie, parfois non.Certaines rencontres se sont avérées moins marquantes, mais jamais anodines. Notamment une fois,dans un appartement aux lumières rouges et dont les murs étaient recouvert de sextoys, et où quelques problèmes mécaniques m’ont mis dans une situation embarrassante. La TDS avec qui j’étais à été patiente, elle ne m’a pas jugé ou quoi que ce soit. J’imagine qu’elle devait en voir passer des gars comme moi, un peu intimidé et à qui il arrive de galérer. Malgré tout, je n’ai pas insisté troplongtemps, d’autant que je n’étais pas forcément très à l’aise avec elle. Je crois simplement que le feeling ne passait pas.Et c’est aussi ça. Parfois ce sont de bon moment qu’on retient, des moments qui fonctionnent, parfois non. Mais à chaque fois, et je les en remercie toutes, ce sont des moments vécus. Aujourd’hui, je ne sais pas si je retournerai en voir. Probablement. Et peut-être alors des escorts. Bien que je n’ai aucun soucis avec la sexualité, je ne suis pas encore très à l’aise avec la mienne. Et tout en sachant que le travail du sexe n’est pas le remède à ça, je sais déjà pour sûr qu’il n’est pas un mal et qu’il a pu, pour moi, m’apporter ce qu’à l’époque je n’arrivais pas à trouver ailleurs. »

Journée des luttes pour les droits des femmes

Une occasion pour nous de rappeler que même si tou.te.s les travailleureuses du sexe ne sont pas des femmes, la putophobie que nous subissons est la conséquence d’un système patriarcal qui voudrait contrôler les corps des femmes, leurs sexualités, et leurs ressources matérielles.

Cette année la manif se raccordait au mouvement social contre la réforme des retraites qui est désastreuse pour les femmes. Nous avons créé 2 pancartes pour alerter sur le fait que notre situation particulière est encore pire :

« Les putes aussi ont besoin d’une retraite »

« Droit des putes = droit à une retraite »

Dans la rue le 23 novembre

Nous nous sommes joint.e.s à la manif de ce samedi pour faire cesser les violences faites aux femmes. Nous avons apporté notre point de vue particulier, puisque nous sommes aussi concerné.e.s par ces violences.

« La putophobie tue »

« Les meurtres putophobes sont aussi des féminicides »

« Même mort.e.s on n’écoute pas les putes »

 

 

17 décembre, notre campagne d’affichage

Demain c’est le 17 décembre, la date de la journée internationale pour l’élimination des violences faites aux travailleurs du sexe. A l’initiative d’Annie Sprinkle en 2003, cette date est aujourd’hui reconnue par l’ONU. C’est un jour pour commémorer nos pertes et militer contre les crimes haineux que nous subissons, réclamer du respect et le droit de travailler dans de bonnes conditions. A cette occasion les putains dans l’âme ont collé trois affiches hier dans le centre ville de Besançon :

-NON c’est NON ! Même si je suis pute, un viol c’est un viol

-Clients pénalisés = putes assassiné(e)s ! STOP !

-Ce sont les violences qu’il faut abolir, pas le travail du sexe.

Rencontre avec les membres du collectif SILVER ROSE

Venez nous rejoindre ce mardi 9 mai à partir de 14h pour rencontrer les membres de Silver Rose, le collectif russe de travailleuses et travailleurs du sexe. La rencontre aura lieu à AIDES, 3 rue Ronchaux.

Vidéos de Cabiria sur le dépistage et la rupture du préservatif

Le nouveau clip réalisé en roumain (sous-titré en français) sur le dépistage.

 

Et le deuxième clip en pidgin (sous-titré en français) sur ce qu’il faut faire en cas de rupture de préservatif.

Réalisé avec l’association Traboules AudioVisuel.

De retour de Toulouse …

La semaine dernière a eu lieu le rassemblement annuel des travailleur-euse-s du sexe à Toulouse : 17 ateliers en deux jours et demi, le dernier après-midi étant consacré à une manif. L’occasion de sortir de l’isolement (pour certain-e-s), de s’entraider, de s’armer contre la violence et la répression, de chercher comment imposer notre parole sans qu’elle soit invalidée ou déformée, comment défendre nos intérêts dans une société qui nous attaque, et lutter pour une putasserie libre, solidaire, et subversive.

Nous étions 2, de Putains dans l’âme, à avoir fait le déplacement. Nous revenons pleines d’idées et boostées par cette énergie collective.

 » Sexworkers united will never be defeated ! »

Discuter de la nouvelle loi

Suite à une rencontre avec la juriste du Strass à Paris, nous organisons mardi prochain un atelier d’échange d’infos et de stratégies sur le contenu de la nouvelle loi et les réactions possibles.

Mardi 31 mai, à 14h, dans les locaux de Aides, 3 rue Ronchaux à Besançon.